JE SUIS, JE PENSE, JE VEUX.
Mes mains... Mon esprit... Mon ciel... Ma forêt...
Cette terre qui est mienne. Que dois-je dire de plus ?
Ce sont les mots. C'est la réponse.
Je me tiens ici debout au sommet de la montagne. Je lève la tête et je tends les bras. Ceci est mon corps et mon âme, tout ceci représente la
fin de la quête. Je désirais connaître le sens des choses. Je suis le
sens. Je voulais découvrir ma raison d’être. Je n’ai nul besoin de
raison d’être, ni d’autorisation pour mon existence. Je suis la raison
d’être et l’autorisation.
Ce sont mes yeux qui voient, et la vision de mes yeux accorde sa
beauté à la terre. Ce sont mes oreilles qui entendent, et l’ouïe de mes
oreilles offre au monde sa musique. C’est mon esprit qui pense, et le
jugement de mon esprit est le seul phare qui puisse éclairer la vérité.
C’est ma volonté qui choisit, et le choix de ma volonté est le seul
verdict que je me dois de respecter.
De nombreux mots me furent accordés, quelques-uns sont sages et
d’autres sont trompeurs, mais trois seulement sont sacrés : « Je le
veux ! »
Quelle que soit ma route, la bonne étoile est avec moi :
la bonne étoile est la boussole qui m’indique le chemin. Elle n’indique
qu’une seule direction. Et cette direction, c’est moi.
J’ignore si cette terre sur laquelle je me trouve est le cœur de
l’univers, ou si elle n’est qu’un grain de poussière perdu dans
l’éternité. Je l’ignore, et cela m’est égal, car je sais quel bonheur
m’est possible sur cette terre. Et mon bonheur n’a pas à se justifier.
Mon bonheur n’est pas un moyen d’arriver à une quelconque fin. Il est
la fin. Il est son propre but. Il est sa propre raison d’être.
Je ne suis pas non plus un moyen d’arriver à une fin que d’autres voudraient atteindre.
Je ne suis pas un instrument à leur disposition.
Je ne suis pas un serviteur de leurs exigences. Je ne suis pas un baume
pour leurs plaies. Je ne suis pas un sacrifice sur leur autel.
Je suis vivante, j'existe. Je me dois de posséder et conserver, de défendre, d’utiliser, de respecter et de chérir ce miracle.
Je n’abandonne ni ne partage mes trésors. La richesse de mon
cerveau ne doit pas être gaspillée en pièces de bronze jetées en
aumône, à tous vents, aux pauvres d’esprits. Je défends mes trésors :
ma pensée, ma volonté, ma liberté. Et le plus précieux est ma liberté.
Je ne dois rien à mes frères, je ne suis pas leur créancier. Je ne
demande à personne de vivre pour moi et je ne vis pas non plus pour les
autres. Je ne convoite l’âme d’aucun homme, tout comme mon âme n’a pas
à être convoitée.
Je ne suis ni l’ami, ni l’ennemi de mes frères, mais l’un ou
l’autre, suivant ce qu’ils méritent. Pour mériter mon amour, mes frères
doivent avoir fait plus que se contenter d’être nés. Je n’accorde pas
mon amour sans raison, ni à quelque passant qui se hasarderait à le
réclamer. J’honore les hommes de mon amour. Mais l’honneur doit se
mériter.
Je choisirai des amis parmi les hommes, mais jamais d’esclave ni de
maître. Et je ne choisirai que ceux qui me plairont; à eux je montrerai
amour et respect, mais jamais domination ni obéissance. Et nous
joindrons nos mains lorsque nous le déciderons, ou marcherons seuls si
nous le désirons. Car dans le temple de son esprit, chaque homme est
seul. Que chaque homme garde son temple pur et intact. Qu’il rejoigne
d’autres hommes, qu’il les prenne par la main, s’ils le désirent, mais
seulement au-delà de ce seuil sacré.
Car le mot « Nous » ne doit
jamais être prononcé, sauf par choix personnel et après réflexion. Ce
mot ne doit jamais être privilégié dans l’âme d’un homme, ou il devient
monstrueux, l’origine de tous les maux sur terre, l’origine de la
torture de l’homme par l’homme et d’une innommable duperie.
Le mot
« Nous » est comme de la chaux vive versée sur les hommes, qui se
contracte et durcit comme la pierre, écrase tout ce qui se trouve
au-dessous, mêlant le noir et le blanc dans son gris. C’est le mot
grâce auquel les dépravés volent la vertu des hommes droits, grâce
auquel les faibles volent la force des forts, grâce auquel les
imbéciles volent la sagesse des sages.
Quelle joie en tirer, si toutes les mains, même impures, peuvent
l’atteindre ? Quelle sagesse, si même les imbéciles peuvent me donner
des ordres ? Quelle liberté, si toutes les créatures, même les
incapables et les impuissants, sont mes maîtres ? Quelle vie, si je ne
fais que m’incliner, approuver et obéir ?
Mais j’en ai fini de ce culte de la corruption. J’en ai fini de ce
montre du « Nous », mot de la servitude, du pillage, de la misère, du
mensonge et de la honte.
Et je vois maintenant le visage de dieu, et j’élève ce dieu
au-dessus de la terre, ce dieu que les hommes cherchent depuis qu’ils
existent, ce dieu qui leur accordera joie, paix et fierté.
Ce dieu, ce mot unique, c’est « JE ».